jeudi 15 octobre 2009
keep calm and carry on
Manhattan.
Ce matin jeudi mon ordi de travail était toujours TU (Tango Uniform, Tits Up, c'est-à-dire en panne, cassé, inutile, en jargon aéronautique) . Il est parti hier semble-t-il, dans les services techniques au 2ème étage, une région mystérieuse de la Base où personne ne s'aventure. Il est d'ailleurs impossible d'atteindre le 2ème étage à partir du rez-de-chaussée, sans doute pour dissuader les gêneurs, les indiscrets, les non-initiés ou quelque chose comme ça. Pour aller au deuxième étage il faut monter au troisième étage et prendre un autre ascenseur pour descendre au deuxième étage. Une fois au deuxième étage l'ascenseur s'ouvre sur un sombre couloir aux murs nus et aux portes solidement closes derrière lesquelles s'affairent des techniciens penchés sur des ordinateurs éventrés dans des ateliers parsemés de cartons de matériel informatique, de moniteurs éteints, d'accessoires, de piles branlantes et désordonnées de cartes électroniques, de barrettes et de processeurs. Derrière certaines portes peut s'entendre le son rythmique de machines d'imprimerie ou de reprographie qui rappelle le bruit des soufflets des forges de Vulcain. Oui, bon, assez de lyrisme. Hier j'étais en congés — je résorbe mon excès de congés en en prenant un par ci par là, je comptais que mon entreprise fasse ce qu'elle avait fait l'année dernière, qu'elle paye les congés non résorbés à la fin de l'année, mais ça ne semble pas être prévu cette année, déjà l'an dernier c'était exceptionnel mais comme par ailleurs le montants des impôts à payer cette année s'en ressent douloureusement, ce n'est peut-être pas si mal que mon entreprise m'enjoigne de prendre tous mes congés avant la fin de l'année plutôt que de me les payer. Hier donc j'étais en congé, j'en ai profité pour aller vendre des livres chez Gibert (une expédition fort désagréable, croyez-moi, j'en reparlerai un jour, mais là, non, je n'ai pas envie de vous parler de la vente chez Gibert, c'est trop affreux) suivi d'une promenade dans le quartier St Germain-des-Près (il faisait un temps magnifique, mais froid) et j'ai regardé un téléfilm d'après la pièce de Simon Gray, téléfilm écrit par Simon Gray lui-même, "Quartermain's Terms". La pièce est excellente et le téléfilm la suit fidèlement. C'est une pièce de théâtre sur "l'anglitude" et la solitude, l'isolement et l'incompréhension, c'est à la fois très drôle et profondément triste, tragique même, d'une drôlerie tragique ou d'une tragédie comique comme on veut. La pièce se déroule dans la salle des professeurs d'une école privée de langue anglaise pour adultes à Cambridge et sur une période de deux ans, dans les années 60. Les sept personnages, six professeurs et le directeur de l'école sont en apparence sociables et biens dans leurs peaux mais derrière les apparences, la politesse toute britannique, la sociabilité un peu forcée, l'impératif de bien se tenir et de ne pas se plaindre (keep calm and carry on), se cache pour chacun des personnages la solitude, le sentiment d'être incompris, un malaise existentiel pour lequel ils ne trouvent ni aide ni remède dans l'égoïsme généralisé. Le personnage principal St-John ("Sinjon") Quartermaine est un aimable gentleman complètement à la dérive, qui aime tout le monde mais ne comprend personne par manque d'empathie et à qui personne ne veut avoir à faire, qui s'enfonce dans sa névrose et sa solitude mais qui est trop bien éduqué, dressé pourrait-on dire, pour demander de l'aide, que personne, d'ailleurs, centré sur son nombril et sur ses propres problèmes n'est disposé à lui donner. Les hommes vivent ensemble mais sont seuls, désespérément seuls et leurs douleurs sont des îles désertes, voilà ce que nous montre Simon Gray dans cette pièce de théâtre, sur un ton de comédie, et par moment c'est drôle, vraiment drôle, de ce comique qu'affectionnent les britanniques et qui est irrésistible et c'est aussi triste et poignant. C'est une pièce de théâtre qui me parle personnellement pour ainsi dire, qui me gratte là où ça me démange. Je ne pense pas qu'elle ait été traduite en français et même jouée en France, probablement à cause de son caractère particulièrement anglais, les personnages étant profondément anglais et leur façon d'agir et de s'exprimer profondément anglaise, bien sûr la solitude parmi les autres ce n'est pas particulièrement anglais, au moins occidental sinon universel, mais ce sont les façons de réagir et de s'exprimer qui sont sans doute intraduisibles en français.
Mon ordinateur est revenu vers midi, il n'y avait rien à y faire à part la mise à jour du bios de la nouvelle carte-mère et donc je n'ai perdu aucune donnée comme je le craignais et rien n'a été désinstallé qu'il eut fallu ré-installer.
J'ai une grande envie en ce moment d'aller à Londres, d'aller faire des emplettes dans les librairies londoniennes, de me promener dans les rues de Londres, d'aller à Camden Market, de picoler des real ales dans des pubs, ça fait tellement longtemps que je n'ai plus siroté une vieille London Pride ou une Theakston Bitter ou une Abbott que je ne sais même plus le goût d'une amertume charmante de la cervoise tiède londonienne, et un steak and kidney pie avec des gros petits pois verts et un délicieux poulet tandoori dans un indien et les parcs londoniens et les bords de canal et… Mais je suis toujours trop dans la dèche en ce moment pour aller me balader à Londres, non, rectifions, l'Eurostar ne me coûte pas cher et je pourrais y aller ne serait-ce qu'une journée, faire l'aller-retour, prendre le train du matin, le premier, et le dernier train du soir pour rentrer à Paris, en plus j'habite tout près de la gare du Nord – oui mais il y a le climat, il suffit que j'y aille le jour où il fait vraiment un temps épouvantable à Londres, et j'ai plus de chances de tomber un jour affreux qu'une belle journée en cette saison, et je vais passer la journée a regretter qu'il ne fasse pas beau et à picoler des bières dans un pub en ruminant mon manque de chance, ou s'il fait beau je vais reprendre le train le soir en me disant que la vie serait quand même plus belle si j'habitais du coté de Primrose Hill ou de Notting Hill, enfin d'une hill quelque part, dans une de ces maisons en brique peinte de couleur pastel avec une entrée à colonnade. Bref, rien qui ne pourra améliorer mon humeur affectée qu'elle est par l'automne à Paris d'autant que je ne serais jamais ni assez riche ni assez désoeuvré pour habiter dans une délicieuse capitale comme Londres ou New York, mais bon je ne vais pas recommencer à râler contre Paris et la France bien que j'en aurais bien envie, là, tiens, en ce moment, justement. Mais stop.