Désirer écrire, c’est pénétrer dans un espace dangereux, parce qu’on entre dans un sombre tunnel qui n’a pas de sortie, parce qu’on n’est jamais pleinement satisfait, parce qu’on n’arrive jamais à écrire l’œuvre parfaite ou géniale, ce qui est la pire des contrariétés. On apprend à mourir avant d’apprendre à
écrire. Comme dit Justo Navarro, être écrivain, quand on sait enfin écrire, c’est devenir un être étrange, un étranger : il faut se mettre à se traduire soi-même. Écrire, c’est se faire passer pour un autre, écrire, c’est cesser d’être écrivain ou de vouloir ressembler à Mastroianni pour simplement écrire, écrire ce qu’on écrirait si on écrivait. C’est quelque chose de terrible mais que je recommande à tout le monde, parce qu’écrire, c’est corriger la vie - même si on ne corrige qu’une virgule par jour -, c’est la seule chose qui nous protège contre les blessures insensées et les coups absurdes assénés par l’horrible vraie vie (c’est parce qu’elle est horrible qu’on doit payer un tribut pour écrire mais renoncer à des pans entiers de la vraie vie n’est pas aussi pénible qu’on pourrait le penser). Comme disait Italo Svevo, c’est aussi ce qu’on peut faire de mieux en ce bas monde et c’est précisément pourquoi on devrait souhaiter que tout le monde en fasse autant : « Quand tous comprendront clairement comment je fais, tous écriront. La vie sera imprégnée de littérature. La moitié de l’humanité se consacrera à la lecture et à l’étude de ce que l’autre moitié aura écrit. Et le recueillement occupera le plus clair de son temps qui sera ainsi arraché à l’horrible vraie vie. Et si une partie de l’humanité se rebelle et refuse de lire les élucubrations des autres, tant mieux. Chacun se lira soi-même. »
Si on lit les autres et si on se lit soi-même, il y a, selon moi, peu d’espace pour les explosions guerrières mais il en reste, en revanche, beaucoup pour qu’un homme montre son aptitude à respecter les droits d’un autre et vice versa. Personne n’est moins agressif que quelqu’un qui baisse les yeux pour lire un livre qu’il a entre les mains. Il faudrait partir en quête de ce recueillement universel. On va me dire que c’est une utopie mais il n’y a que dans l’avenir que tout est possible."
Enrique Vila-Matas