Le bonheur, pour moi, a longtemps été une plage au bord de l'océan. C'était la plage de mon enfance à Saint-Brévin : une longue bande de sable blanc très fin qui s'étendait de Mindin, au Nord, aux rochers de la Roussellerie, au Sud. Mais mon domaine, ma plage, c' était la plage des Rochelets, d'une longueur d'à peu près 200 m. entre l'Allée de la Combe des Bondres et l'Avenue Alexandre Bernard. Nous ne nous aventurions jamais au-delà de ces frontières imaginaires. J'ai encore dans la tête le son de la plage, le murmure des vagues se mêlant aux cris d'enfants et le bruit du vent dans les pins maritimes. Le matin le sable était froid à nos pieds nus et à midi brûlant à tel point qu'il nous fallait remettre nos sandales quand nous remontions de la plage pour aller déjeuner. L'après-midi, la succession de bains et de plongées dans les vagues, et de séchage au soleil, traces de sel sur la peau bronzée et brûlante, gout du sel sur les lèvres. Le soir, la contemplation du coucher de soleil et l'allumage des phares à l'horizon, qu'il nous était un jeu d'identifier : La Truie, Le Grand Charpentier, Le Petit Charpentier, Le Pointeau, Saint-Gildas... Je passais tout mon temps à la plage, avec mes copains et ceux de ma grande soeur, nous nous baignions dans les vagues, construisions des châteaux de sable, façonnions des boules de sable mouillé en vue de combats d'artillerie futurs. Quand il y avait du vent nous nous réfugions dans les creux de dunes pour lire. Nous passions des journées merveilleuses dans l'arrière plage, à jouer dans les dunes, à grimper dans les pins à demi-enfouis dans le sable, à explorer les blockhaus. A marée basse on allait à la recherche de vers de vase pour servir d'appat à la pêche au bar du soir. Ou bien on allait à la pêche à la crevette grise avec nos épuisettes (il fallait arpenter la plage, de long en large, avec de l'eau jusqu'aux genoux, en poussant l'épuisette devant soi, raclant le sol et capturant les crevettes, les petits crabes, les mollusques, tous les habitants de la vase à marée basse, qu'il fallait ensuite trier, soit mettre dans la musette, soit rejeter à l'eau : trop petit, mangeable, pas mangeable... ). Parfois l'on montait une expédition en bateau, ou à pieds lors des grandes marées, pour aller chiper des moules sur les bouchots en face de la plage. Nous marchions nu-pieds, dans la vase tièdie au soleil, dans vingt centimètres d'eau, et nos pieds s'enfonçaient dans la vase si fine qu'elle remontait entre les orteils en chatouillant légèrement. De Saint-Brévin j'ai gardé cette sensation de bonheur sans nuage, de jubilation de la liberté, que m'accordaient ces journées entières, que dis-je, ces semaines entières sur la plage.