Ma première classe était dans l’ancienne prison de Chinon, derrière la gendarmerie. Deux grandes cours cernées de murs très hauts et un bâtiment au milieu, d'un seul étage. Au rez-de chaussée, les douzième et onzième de Madame Tassonaud, la dizième de Mademoiselle Launay, la huitième de Monsieur Cadieu, à l’étage la neuvième de Madame Elmer et la septième de je ne sais plus qui. C’était en 1963, j’avais 6 ans et quelques mois. Je n’avais jamais été à l’école maternelle (enfin si, deux jours, à l’École Jeanne D’Arc, ça c’était très mal passé, j’avais fait de la résistance et ma mère avait décidé d’arrêter les frais). En septembre 1963 plus moyen d’y couper, il a fallu me tirer, en pleurs, jusqu’à l’école. Très vite après le premier matin je m’y suis fait. Mon père m’enmenait et ma mère venait me chercher. Madame Tassonaud était la maîtresse. J’ai appris à lire et à écrire dans cette classe.
En dehors de ce jour terrible de la rentrée des classes je ne me souviens pas de beaucoup de choses. J’ai eu quelques bons points, après cinq bons points on avait une image, j’ai eu quelques images. Je me suis fait des copains, Gaël Bisson, Elisabeth Roth — la fille du docteur Roth dont il faudra que je parle un jour — , Bruno Garrivet, Patrick Dumont, Philippe Viaud et d’autres dont j’ai oublié les noms. Quelques ennemis aussi, sûrement. Nous portions des blouses, bleues pour les garçons, roses pour les filles. Dans la cour, à la récréation, on jouait aux osselets ou aux capsules, les filles jouaient à la marelle ou sautaient à la corde. Certains avaient des appareils dentaires, je trouvais ça barbare et ne voulais pas en avoir, pourtant j’aurais dû car mes dents d’en bas mal plantées le sont restées. Certains offraient des fleurs à la maîtresse, je me souviens de Gaël Bisson, un tout petit bonhomme, allant offrir une jacinthe à la maîtresse, pour le premier de l’an. Venant du fond de la classe jusqu’au bureau de Madame Tassonaud, sa plante à la main, il était rouge comme une pivoine et dit d’une toute petite voix : “bonne année maîtresse !” Offrir des fleurs à la maîtresse est devenu une mode. Son bureau s’est couvert de fleurs et de plantes en pot. Fin juin il y a eu la cérémonie de remise des prix, dans la grande salle d’honneur de la mairie. Tous les élèves de l’école de la République réunis dans la salle avec leurs parents, des petits du primaire aux grands du secondaire. Sur la scène, comme au théâtre, le corps enseignant en tenue d’apparat. Quand tu as un prix on appelle ton nom, tu montes sur la scène et tu reçois ton prix et ta récompense, les félicitations de tous les officiels en rang d’oignon et l’embrassade de ta maîtresse émue au larmes, toute la salle t’applaudis. Cette année-là Elisabeth Roth a obtenu le prix d’excellence, moi juste un accessit. La récompense était un livre de la Bibliothèque Rose, je ne me souviens plus lequel. L’année suivante Elisabeth Roth avait disparu et je ne l’ai plus jamais revu. Je ne l’ai retrouvé que récemment grâce à Internet, en faisant des recherches sur son père.