Les technologies de l'information et de la communication ont créé un espace qui n'est ni celui du privé, où les conversations se limitent à quelques personnes tout au plus, où tout peut être dit, pourvu, précisément, de rester au sein de cette sphère, ni celui de la vie publique classique et de ses médias. Internet, le téléphone mobile dessinent un espace singulier, intermédiaire entre le public et le privé. Et dans cette zone sans frontières qui exerce une pression constante dans l'espace public et la sphère privée, la communication est instantanée, massive, participative, tout le monde peut exister, s'exprimer. Une culture se développe dans ce contexte, insistant sur la liberté d'expression – interdire, c'est aller à l'encontre de la révolution culturelle qu'apporte le numérique. Ce qui est favorable aux discours émancipateurs, mais aussi à ceux de la haine. On a souvent insisté sur le caractère bénéfique de cette évolution, sur le rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes ou les luttes d'« indignés » : force est de constater que la technologie peut aussi servir le mal. Dieudonné en bénéficie pleinement et y trouve une ressource considérable. Public réel et public virtuel peuvent-ils se fondre ? La comparaison, là aussi, avec les mouvements contestataires récents est édifiante : c'est en se retrouvant, grâce à Internet, sur des places, dans des lieux concrets, que ces acteurs ont pris leur essor.La croissance exponentielle de l'Internet comme moyen de communication sert la vertu, l'information, la connaissance et la liberté d'expression mais aussi la haine raciste. Comment concilier la nécessaire liberté d'expression et la non moins nécessaire lutte contre la propagation des idées de haine raciste, homophobe ou antisémite? Force est de reconnaitre que les lois existent mais qu'à l'heure actuelle on est incapable de les faire appliquer sur Internet sans censurer arbitrairement comme le font certains gouvernements. L'anonymat et la mobilité permis par Internet a rendu facile l'expression de la haine dans un territoire abstrait et difficilement accessible aux moyens traditionnels d'application de la loi. C'est d'autant plus regrettable qu'en cette matière nous sommes d'avis que la loi et rien que la loi doit être appliquée et non une censure à priori qui ne pourrait qu'avoir des effets néfastes sur la liberté d'expression. L’interdiction de l'anonymat sur Internet ne nous semble ni faisable techniquement ni souhaitable pour l'expression libre des opinions. Ce qu'il faut c'est rechercher des alternatives techniques justes et impartiales. Pour cela il faut combiner l’application de la loi avec des mécanismes techniques d'autorégulation. Par exemple imposer aux fournisseurs de réseaux sociaux la mise en place de mécanismes simples de plainte et de contrôle des utilisateurs (règles de conduite, hot-lines, software de recherche de mots clés, etc.). Le but étant une réduction de la dissémination et de l'impact des propos haineux sans contrevenir au libre courant des connaissances de l'information et des idées sur Internet.
Michel Wieviorka - Le Monde
vendredi 3 janvier 2014
Faut-il censurer Internet?
Dans une tribune du Monde, le sociologue Michel Wieviorka: