Pour quelles raisons est arrivé le shutdown ?
À l'origine les deux chambres du Congrès des États-Unis devaient voter un complément de loi budgétaire destiné à assurer le financement des activités de l'état fédéral jusqu'à la fin de l'année. Le texte, appelé Continuation Resolution ou CR, devait être approuvé dans les mêmes termes par les deux chambres du Congrès. Les députés élus du parti Républicain et quelques sénateurs de ce même parti ont décidé d'annexer à cette loi, comme il est permis et de tradition de le faire, une provision qui supprimait le financement de ce que l'on appelle Obamacare — de son vrai nom la Loi sur les Soins Abordables (Affordable Care Act) — la réforme du système d'assurance santé votée lors du premier mandat du président Obama.Notons que cette loi, Obamacare, a été approuvée en son temps par les deux chambres du Congrès, qu'elle a été promulguée par le Président, qu'elle a été portée devant la Cour Suprême par ses opposants et que cette Cour l'a laissé en l'état. En outre l'élection présidentielle de 2012 s'est largement décidée autour de cette loi, puisque son abrogation avait été promise par le candidat Républicain Mitt Romney. Nous savons tous que Barack Obama a été réélu avec une confortable majorité des voix.
La date à laquelle la loi CR devrait avoir été votée pour que le gouvernement dispose des fonds nécessaires à son fonctionnement avait été fixée au 27 septembre à 0 heures. Pendant le mois de septembre la loi CR a fait plusieurs fois la navette entre la Chambre des Représentants et le Sénat. À chaque fois qu'ils étaient consultés les Démocrates, majoritaires au Sénat votaient la loi nettoyée de sa provision visant à supprimer le financement d'Obamacare et la renvoyaient à la Chambre où les Républicains, majoritaires de ce coté-ci du Congrès, annexaient à nouveau la fameuse provision, votaient leur nouvelle loi et la renvoyaient au Sénat. Au bout d'un moment, la date fatidique s'approchant, les Républicains de la Chambre décidèrent d'amender légèrement leur provision en décidant seulement qu'Obamacare n'entre pas en application avant un an. Le Sénat refusa de voter la loi CR ainsi annexée et à la date décidée le gouvernement se retrouva sans argent pour fonctionner, d'où le shutdown.
Qui veut abroger ou dé-financer Obamacare ?
Une frange d'extrême droite du Parti Républicain (ceux qu'on appelle le Tea Party) ne digère pas cette loi, ils sont décidés à avoir sa peau par tous les moyens. Un peu comme chez nous les anti-mariage gay ne digèrent pas la Loi sur le Mariage Pour Tous. La loi étant une réalisation historique du Président Obama, le fait que cette frange du Parti Républicain la refuse absolument est liée à leur détestation de ce président qu'ils estiment — avec pas mal de racisme toutefois jamais clairement exprimé — usurper le pouvoir.Mais tous les représentants (on appelle ainsi les députés) Républicains ne sont pas des extrémistes. Il y a environ trente représentants Républicains à la chambre qui sont des jusqu'au-boutistes d'extrême droite, les autres sont plus centristes. Les jusqu'au-boutistes représentent donc une minorité dans la majorité Républicaine, comment se fait-il qu'ils tiennent leurs collègues à leur botte? C'est ce que nous allons essayer de comprendre.
La pression du Tea Party
Les prochaines élections des représentants à la Chambre aura lieu l'année prochaine (2014) au mois de novembre. Dans le système constitutionnel américain les représentants sont élus pour un mandat de deux ans renouvelable, la Chambre entière est renouvelée tous les deux ans. Les sénateurs ont, eux, un mandat de six ans renouvelable et le Sénat est renouvelé par tiers tous les deux ans.Dans chaque parti, dans chaque circonscription ont lieu des primaires. Les représentants sont donc soumis à une pression électorale presque constante, qui les force à rechercher constamment de l'argent pour financer leurs campagnes électorales. Prenons un représentant Républicain lambda. Il se retrouve avec un challenger du Tea Party aux primaires. Ce challenger aux primaires n'a peut-être aucune chance d'être élu, n'empêche qu'il peut déverser ses griefs voire sa bile, sur le candidat sortant pendant des mois et le priver de généreuses donations. On connait l'adage, calomnier, calomnier, il en restera toujours quelque chose : des armes données à son adversaire Démocrate et des sous en moins pour financer sa campagne, peut-être même des électeurs en moins, tant et si bien que les élections générales pourraient lui échapper, rien qu'à cause de ce défi lors des primaires de son parti.
Or les partisans du Tea Party ont montré à de nombreuses reprises qu'ils n'hésitaient pas à défier un candidat sortant de leur propre parti quand ils le trouvaient trop mou, trop centriste ou trop prêt au compromis avec les Démocrates. Et leur campagne, dans ce cas, ne s'embarrassait pas de principes. Il y a toujours du sang sur les murs lors des défis des Tea Party.
La trentaine de représentants d'extrême droite, eux, ne risque rien. Leurs circonscriptions sont taillées exactement à leurs mesures et personne ne viendra les menacer lors des prochaines élections. Les autres, par contre…
Voilà pourquoi une minorité de représentants d'extrême droite tient dans sa main une majorité. Avec du chantage et des menaces, ni plus ni moins.
La règle de Hastert
Le chef de la majorité Républicaine à la Chambre, John Boehner, pourrait prendre ses responsabilités et faire passer la loi CR sans la provision pour dé-financer Obamacare, simplement en la mettant aux votes et en comptant sur les quelques représentants Républicains désireux de se joindre aux Démocrates pour faire cesser le shutdown. Mais ce serait contrevenir à la règle de Hastert (Hastert Rule) — du nom de son prédécesseur à la tête de la Chambre des Représentants, Dennis Hastert — qui veut que jamais une minorité de Républicains ne s'allie aux Démocrates pour faire passer une loi initialement rejetée par leur parti. Et puis faire une telle chose serait considéré comme une trahison de la part de Boehner, l'exposant à être mis en minorité par son propre parti et à être chassé de son poste de Speaker (président) de la Chambre.On comprend qu'il hésite.