Le pauvre Tinker était sourd, un berger allemand d'âge canonique aux poils blancs autour du museau. Sourd et perclus de douleurs, il marchait très lentement et toujours au milieu de la route, ne s'effaçant qu'au dernier moment et avec lassitude devant les automobiles. Tout le monde le connaissait dans le village, où il n'y avait d'ailleurs pas beaucoup de circulation. Ce jour là il avait consenti à venir avec moi jusqu'au bureau de poste et retour, une ballade d'une centaine de mètres. Il marchait donc au milieu de la route quand apparut la voiture de police. Comme il était sourd et revenu de tout, il fut indifférent à mes cris qui lui demandaient de se mettre sur le coté. En bons policiers anglais respectueux des animaux les constables arrêtèrent leur voiture et Tinker la contourna, ses flancs touchant le parechoc, sans se presser, avec une nonchalance étudiée, tête et langue pendantes. Évidemment alors que je passais à mon tour à coté d'eux, le constable de gauche descendit sa vitre et du doigt me fit signe d'approcher. Il me posa une question en Anglais que je ne compris pas, à laquelle je répondis défensivement "I'm French, I don't undestand". "He's old and deaf" dis-je aussi pour excuser Tinker. "But we live here" dis-je en pointant du doigt la maison où j'habitais, toute proche et vers laquelle Tinker, qui avait repris sa marche laborieuse au milieu de la route, se dirigeait. "Oh well, never mind, be careful" dit le flic. Et ils reprirent leur route à travers la campagne du Devon.
Westleigh, Devon, UK. Mai 1974.