C'est une histoire banale, une histoire de peur de l'autre, de celui qui n'est pas "normal", une histoire d'ignorance, d'absence du sens de notre commune humanité, une histoire de colère, une histoire de foule égarée, une histoire profondément triste, scandaleuse et révoltante.
C'est l'histoire d'un vieux type seul, un peu négligé, mal habillé, qui traîne devant l'école maternelle à la sortie des classes. Il est peut-être un peu simplet, un peu gaga. Il ne se rend pas compte que, de nos jours, quand on est un vieux type mal fagoté, regarder sortir les enfants des écoles ça éveille les soupçons des braves gens qui vivent en permanence dans la terreur du pervers sexuel. Des braves gens qui sont à cran, tout le temps, avec "tout ce qu'on voit actuellement". Elle est ancienne cette terreur, c'est celle de l'ogre, celle de l'étranger joueur de flute, qui charme les enfants au son de son instrument et les enlève du village, celle de la sorcellerie. Et de nos jours elle est amplifiée par les faits-divers qu'on voit montés en épingle, dans les journaux, à la télé et qui sont exploités sans vergogne par le gouvernement. Les parents ont peur, ils poursuivent le vieux type jusqu'à son domicile, le coincent dans l'entrée de son immeuble, appellent la police. Celle-ci n'agit pas souvent avec le tact qu'on pourrait attendre d'elle, en l'occurence les flics s'emparent du pauvre type affolé, terrorisé et le menottent, le jettent dans le fourgon. Là le pauvre vieux fait une crise cardiaque et meurt sur le plancher du panier à salade. On se rend compte, après, qu'il n'y avait strictement rien à lui reprocher, mais trop tard, il est mort.
Les gens qui l'ont presque lynché ne se sentent pas particulièrement coupables :
"Il avait une attitude suspecte, il n'était pas net, on n'avait pas confiance. Moi je cachais ma fille derrière moi, j'avais peur pour mes enfants. Il était louche, il regardait les enfants", a déclaré de son côté Nathalie, une très jeune maman dont les trois enfants sont scolarisés dans cette école.
"On a appelé la police plusieurs fois, mais ils ne sont jamais venus. On a alerté le directeur. Il allait lui parler et lui demandait de ne pas rester ici. Mais personne ne s'en approchait", a affirmé une autre mère de famille.
"Il est mort, je n'ai pas de réaction. Je pense que c'est un mal pour un bien. Maintenant, je suis tranquille", a-t-elle ajouté.
Le procureur de Brest a tenté de prendre du recul :
Le procureur de la République de Brest, Bertrand Leclerc, a mis en garde contre les "climats de psychose". "Il est très important, en dehors de la vigilance normale des citoyens, qu'on ne se méprenne pas et que l'on n'entretienne pas des climats de psychose qui peuvent arriver à ce genre d'issue fatale", a-t-il déclaré.
"On a vécu pendant une dizaine de jours dans une nébuleuse de rumeurs qui a enflé à partir d'une méprise sur un homme vu tentant d'enlever une enfant alors que ce n'est pas le cas (...). Mais personne n'a véritablement pris la peine d'alerter les services de police et c'est là qu'est l'erreur", a insisté le procureur de Brest.
Tous les jours il y a des moments sombres pour l'humanité, la plupart du temps ils ne sont pas relevés, hier à Brest il s'est produit un de ces évenements.