Dans la vie de tous les jours les délinquants font souffrir et terrorisent les autres, ils se comportent comme des prédateurs dans la jungle urbaine, ils attaquent plutôt les gens sans défenses ou en position de faiblesse et de préférence à dix contre un (les victimes des agressions violentes en réunion sont en majorité des gens seuls, des jeunes et des femmes). Lorsque ces délinquants participent à une émeute, il ne faut pas s'étonner de leur manque total de pitié ou de compassion : tant pis pour le petit commerçant qui voit sont magasin partir en fumée après avoir été pillé, aucune pitié pour les habitants des appartements au-dessus du magasin incendié, on vole en faisant semblant de l'aider le pauvre garçon qui s'est déjà fait briser la mâchoire et qui saigne assis par terre, on massacre la policière isolée dans une ruelle, on fonce en voiture sur les gens qui font mine de s'opposer aux déprédations. La vidéo du jeune malaisien tabassé et volé à Londres a fait le tour du monde et a même été prise en exemple par le premier ministre David Cameron pour dénoncer la cruauté et l'absence de morale des émeutiers. Mais des scènes du même genre se produisent tous les jours un peu partout, ces images n'ont rien d'exceptionnel.
D'après les comptes-rendus d'audiences judiciaires qui ont lieu en ce moment dans les grandes villes anglaises, les gens qui ont commis les pillages et le vandalisme sont soit des voyous, des hooligans récidivistes, soient des voleurs pathologiques qui ont profité de l'occasion ou encore des gens ordinaires qui ce sont laissés tenter par l'excitation du pillage et le "frisson de l'émeute" (Roché, 2006). Reste qu'il me semble facile et erroné d'oublier ou de nier le contexte dans lequel ce sont commises ces exactions. Elles ne sont pas apparues dans les "beaux quartiers" mais dans les quartiers de grande pauvreté et où il y a une forte désorganisation sociale, des quartiers de relégation de minorités ethniques où les tensions avec les forces de police sont vives. Des quartiers où les jeunes ont peu de perspectives d'intégration sociale et où les principales ressources économiques sont crapuleuses et souterraines. Dans ces quartiers la vie quotidienne des jeunes est faite de violence, d'humiliations multiples, de désœuvrement, de rapports de force avec leurs pairs, leurs parents, les jeunes du quartier d'à coté, les autorités, de désespérance et d'ennui chronique. L'émeute est une sorte de grand défouloir, une fête cruelle (d'ailleurs, pour dire qu'on va faire la fête on dit couramment qu'on "va mettre le feu"!), il y a un frisson particulier, une excitation et un plaisir particulier à l'émeute, le plaisir de "tout faire péter", de provoquer la peur et la panique chez les "bourgeois", de prendre des risques et de montrer son courage en allant défier et se battre avec la police honnie. Et puis tout rendre dans l'ordre et l'excitation retombe, la sinistre et désespérante vie quotidienne reprend ses droits avec ses multiples trafics un temps perturbés, eux aussi, par l'émeute, jusqu'à la prochaine fois. L'émeute est la manifestation absurde, festive et sans lendemains de la colère d'une population malheureuse. Et bien sûr ce n'est pas l'excuser que d'essayer de la comprendre.