"Un gars, une fille", encore. Ce qui est angoissant dans cette sitcom c'est que le petit couple de protagonistes est représentatif de tous les petits couples de Français moyens de notre époque. Ils sont de la classe moyenne, professionnels (dans des professions en vogue: publicité, marketing, commerce), sans enfants, à l'âge où l'on songe à profiter de l'existence avant d'avoir, justement, des enfants, la trentaine donc, bien intégrés à leur société, leur époque. Ils sont tout ce qu'il y a de plus normaux. Ils ont les défauts de leur condition sociale: mesquins, incultes, égoïstes, n'ont que de courtes vues et les opinions de la majorité, consommateurs passifs au langage atrophié dans lequel transparaissent les stéréotypes du management et du marketing. Ils vont aux sports d'hiver, au Club Med, ils dînent japonais, lui aime les voitures, le tennis et le golf, elle aime les soirées entre copines, la déco, les produits bio et la médecine douce. Ils sont caricaturés mais pas assez, le trait n'est pas assez forcé. Ils sont génériques, en un mot. Ils nous apparaissent alors comme ce que nous pourrions être, mais aussi comme ce que nous sommes d'ailleurs souvent, et comme ce que nous devrions être pour faire partie de l'équipe (pour employer un terme de management, justement) qu'est la société. Dès lors leurs défauts qui devraient nous faire rire à leurs dépens sont insupportables.
Si les gens aiment cette sitcom et la trouvent drôle c'est peut-être dû à deux facteurs: (1) leurs capacités de jugement sur eux même sont à ce point affaiblies par l'abrutissement savamment organisée par l'empire de la marchandise et du spectacle qu'ils ne se rendent pas compte qu'on se moque d'eux; (2) le consensus étant que cette sitcom est drôle et de bonne qualité il importe que pour faire partie de la société, pour ne pas être en dissonance, on déclare l'apprécier sans y prêter d'attention.