Une série photographique sur la "suburbia" américaine, voilà ce que j'ai en tête. Une série qui deviendra un livre de photographie (j'ai déjà le format et l'aspect général tout pensé). Il y a onze ou douze ans que j'ai envie de faire ça, mais l'occasion de le réaliser ne se présente que maintenant, que je suis en vacances dans la famille à Houston. La "suburbia" c'est la banlieue tentaculaire autour des grandes villes, qui se caractérise par une faible densité de population, des habitations individuelles pour une seule famille (ou de petits immeubles d'appartements), des lotissements de parcelles construites séparées les unes des autres, parfois clôturées, une population et un niveau de vie à l'intérieur des lotissements relativement homogènes même quant aux origines ethniques, un mode de vie assez stéréotypé (en apparence) répondant à une très forte pression sociale et à un très fort contrôle social, la concentration des commerces et des services dans des zones dédiées, les "
malls" ou les "
strip malls", parfois éloignés des lotissements, un mode de transport entièrement dominé par l'automobile (indispensable), un plan d'urbanisme caractéristique: des rues, souvent en impasses, irradiant le lotissement et desservant des artères plus importantes, elle-mêmes alimentant des artères encore plus grandes permettant d'atteindre les autres lotissements ou les zones commerciales, des maisons séparées les unes des autres avec chacune son jardin privatif mais point de clôtures visibles entre les maisons et entre les maisons et la rue, un style d'architecture à la fois contraint par des règlements intérieurs aux lotissements — règlements parfois draconiens — et à la fois assez fantaisiste (mais souvent d'un goût douteux), une population qui s'augmente, pendant la journée, d'ouvriers venant d'autres zones d'habitations, qui évacuent, leurs tâches accomplies, le soir, le lotissement, les ouvriers venant remplacer les habitants qui eux, vont travailler pendant la journée et rentrent le soir. C'est un univers qui m'intéresse parce qu'il est pour moi exotique et en même temps familier, il fait partie de mon paysage mental tellement il a été présenté, moqué, embelli et tant il a servi de toile de fond à tant de films et de séries américaines. La vie dans la "suburbia" j'ai l'impression de la connaitre mais elle recèle en fait une grande part de mystère et, pour moi, le romanesque qu'il soit sinistre ou joyeux, honnête ou criminel n'est jamais bien loin sous le vernis de normalité et sous la pression du conformisme apparent. Et puis j'aime bien l'architecture, les maisons, la verdure de ces
subdivisions.
Mes photographies seront homogènes dans leur format (3X2) et très neutres, frontales, dans le style de la "nouvelle topographie" ou des photographies de Robert Adams. Avec l'influence du style de mes maîtres, Joel Sternfeld et Stephen Shore.
Mon but est de donner une image honnête, de rendre compte d'un coin de la terre et d'une certaine façon d'habiter le paysage. Et en plus ça doit être agréable pour les yeux.