À entendre les gens autour de moi la paranoïa est le désordre mental le mieux partagé de nos jours. Entre les complotistes et les soupçonneux en tous genres, ceux qui ne font pas confiance aux agents de l'État et ceux qui ne font pas confiance aux médias, ceux qui doute de l'existence même de la grippe A et du bien fondé de son vaccin (voire de tous les vaccins), je me sens entouré de paranos. On me traitera sans doute de naïf parce que je fais d'emblée confiance à ceux qui nous gouvernent, je dirais que je possède le moyen de les rendre prudents et honnêtes au moins pour les grandes questions: mon droit de vote. En outre je ne vois pas pourquoi sous prétexte de "ne pas croire tout ce qu'on me dit" comme le clamait fièrement Marion Cotillard à l'occasion des attentats du 11 septembre 2001, je devrais me méfier par principe de ce que me disent les gens qui nous gouvernent et pas du tout de ce que déclarent les complotistes de tous poils. À dire vrai ceux-ci me semblent bien moins dignes de confiance que ceux-là. Je trouve qu'il y a quelque étrange folie à toujours soupçonner derrière les faits de la vie la présence d'une main invisible, non seulement cachée mais mal intentionnée à notre égard. Je ne dis pas que les complots néfastes n'arrivent pas quelque fois mais de là à ce que derrière tout se cachent les intentions malignes de certains (qui d'ailleurs? c'est un grand mystère) il y a un pas qui me semble relever de la paranoïa bénigne, ordinaire pourrait-on dire. C'est que, je pense, les gens ne se satisfont pas des causes complexes et de l'absence de coupable. Qu'une catastrophe arrive il nous faut un responsable et un responsable non seulement coupable de négligence mais surtout d'une intention mauvaise. Et plus grande ou plus frappante la catastrophe, plus la méfiance envers les explications forcément imparfaites ou partielles et émanants d'un détenteur de pouvoir sera grande. Et l'on remontra la chaîne de commandement ou la chaîne alimentaire au plus haut, jusqu'à inculper le PDG d'une multinationale pour la négligence d'un de ses employés dans une entreprise périphérique qu'il n'a jamais même visité et dont il ignorait peut-être même l'existence. Il y a là quelque chose comme un déni de la réalité, celle-ci étant complexe, emmêlée, répondant à un faisceau de facteurs plutôt qu'à une cause unique et évidente.
Prenez par exemple le vaccin contre la grippe H1N1. Madame Bachelot n'est certes pas une flèche mais on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir pris au sérieux les menaces qu'était sensé faire peser la maladie sur les citoyens. Dans l'état des connaissances du virus avant l'été, elle a agit avec célérité et prudence. Voilà qu'on lui reproche d'en avoir trop fait, d'avoir acheté trop de vaccins trop chers (et donc d'avoir dilapidé l'argent du contribuable), d'avoir même voulu vacciner en masse les Français pour détourner l'attention de turpitudes gouvernementales ou pour des desseins encore plus noirs, pour un petit virus de rien du tout qui rend malade, certes, mais auquel la plupart des gens survivent sans séquelles. J'en connais même qui dans le délire de généralisation qui leur est coutumier et qui devient même une forme courante d'argumentation, déclarent la pandémie imaginaire! Je serais Madame Bachelot (Dieu m'en préserve) je serais quelque peu amer d'une telle ingratitude. Car si le virus de la grippe A s'était révélé aussi méchant que celui de la grippe espagnole des années 1910 et avait tué des dizaines de milliers de personnes comme alors et qu'on n'ai fait aucune réserve de vaccins ni de médicaments et qu'on n'ai pris aucune mesure préventive pour éviter la pandémie, qu'aurait-on entendu comme accusations d'irresponsabilité voire d'intentions coupables de la part de ceux qui, aujourd'hui, se plaignent de la gabegie de l'État! Maintenant j'entends qu'une grande majorité des gens refusent de se faire vacciner contre la grippe A. Dans un sens c'est qu'ils ne sentent pas menacés par le virus et c'est tant mieux, mais c'est aussi parce qu'ils n'ont pas confiance dans le vaccin, celui-ci, dit-on, pourrait entraîner des séquelles plus graves que le virus de la grippe. Au nom du principe de précaution on refuse de prendre des précautions! Réfléchissons : en se faisant injecter le vaccin on prend un risque, un tout petit risque, celui de contracter une maladie iatrogène assez peu probable, mais comparé avec le risque d'être malade de la grippe si l'on ne se fait pas vacciner c'est négligeable, surtout si, de par son activité quotidienne, on est susceptible de refiler facilement le virus à d'autres plus fragiles ou plus vulnérables à une infection que nous. Personnellement je vais me faire vacciner dès que possible, pas pour faire plaisir à Madame Bachelot, mais pour ne pas être malade parce que je trouve extrêmement désagréable d'être cloué au lit une semaine et quinze jours à m'en remettre pour un virus pour lequel un vaccin existe et est gratuit.