Carrefour cet après-midi, beaucoup de monde aux caisses, je m'aligne dans une file qui donne sur une caisse dont le tapis roulant est en panne, peu importe il faut juste approcher ses courses de la caissière et pas les laisser à la tête du tapis. J'attends mon tour derrière un couple au caddie plein ras-bord. Pas de problèmes, je ne suis pas pressé et je lis "Heart Of Darkness" de Joseph Conrad sur Stanza sur mon iPhone, c'est passionnant et bien écrit, en fait je passe un bon moment. Le couple devant pose un poulet rôti emballé dans une barquette et une cloche en plastique sur le tapis roulant (en panne), l'emballage fuit et plein de jus graisseux de poulet tombe sur le tapis roulant (en panne). Le couple paye et arrive mon tour de poser mes courses sur le tapis roulant. Là je m'aperçois que le tapis roulant (en panne) est plein de jus de poulet graisseux. Je demande poliment à la caissière de nettoyer le tapis pour que je puisse y poser mes courses.
Elle me répond: "j'ai pas de kleenex"
— alors appelez quelqu'un pour que le tapis soit nettoyé, je dis;
— je vais pas déranger le chef du magasin il est occupé, elle répond;
— d'accord, mais vous voyez bien que ce tapis est plein de graisse, je peux pas poser mes courses dessus, elles vont être pleine de graisse aussi;
— je vous dit que je peux pas appeler le chef du magasin, alors vous me donnez vos courses ou bien vous dégagez et laissez passer la personne qui attend derrière vous!
— vous êtes gonflée quand même de me dire ça, vous pouvez pas nettoyer le tapis, c'est ça votre notion du service au client?
— ben si on devait nettoyer le tapis entre chaque client on n'en finirait plus!
Là je vous prie de noter la forme de rhétorique habile qui consiste à déplacer l'objet de la discussion en la généralisant, il est clair que je ne demande pas qu'on nettoie le tapis entre chaque client mais seulement quand ledit tapis roulant, alors qu'il est en panne et ne roule pas, porte les traces de jus graisseux du poulet mal emballé des clients précédents.
Voyant le tour que prend la conversation et ravalant la colère qui commence à me monter au nez je dépose mes courses soigneusement sur un endroit encore sec du tapis, une à une. Puis je les remballe une à une en prenant mon temps.
La caissière me regarde faire en multipliant les signes d'impatience (regards, petits soupirs, mouvements agacés) et me dis enfin:
— merci de pas vous presser hein, j'ai ma pause à prendre, moi, je travaille, moi!
Ah! la France! Le pays où le sens du service est inconnu. Le pays où les clients sont au service des vendeurs, où les clients se doivent d'être extrêmement polis, de dire "bonjour" et "excusez-moi de vous déranger..." quand ils demandent un renseignement. Où arriver cinq minutes avant la fermeture d'un magasin vous fait mettre dehors comme un malpropre. Où les caissières vous regardent ranger vos achats dans un sac (vendu, pas donné, le sac en plastique, fragile qui plus est) avec impatience sans vous donner un coup de main sous peine de déroger à leur rang. Où certains commerçants vous traitent comme des gêneurs si vous n'avez pas "la monnaie", etc., etc....
Au Etats Unis, pays de bouseux incultes comme le pensent la plupart des français qui ne sauraient mettre ni Minneapolis ni Dallas sur une carte, dans les supermarchés la caissière vous sourit, vous demande si vous avez fait des courses agréables et si vous avez trouvé ce que vous vouliez dans le magasin et qu'est-ce qu'elle peut faire pour vous aider, vous aide d'ailleurs à mettre vos courses dans des sacs (où c'est un second employé qui le fait — à qui il faut donner la pièce parce qu'il n'est quasiment pas payé par le magasin, mais c'est une autre histoire!), certes c'est "la politesse de la voix du GPS" mais qu'est-ce que c'est agréable!