Revenons aux photos de rue. Suite à mon post d'hier j'ai reçu deux commentaires très intéressants. Je vais y répondre ici.
C'est exact que la plupart des gens trouvent désagréable d'être photographiés. Passons rapidement sur mes réactions personnelles à la photo : je n'aime pas trop me faire photographier mais uniquement parce que j'ai une mauvaise image de moi-même, mais je n'empêcherai jamais quelqu'un de le faire. Par contre, ça me gène qu'on publie ma photo sur le net avec mon nom (sans mon nom je m'en fiche), voilà. Toujours pour les mêmes raisons.
Des photographes de rue il y en a eu beaucoup dans le passé, des célèbres et géniaux : Robert Doisneau, Henri Cartier Bresson, Robert Frank, Diane Arbus, Gary Winogrand,pour ne citer qu'eux, aujourd'hui aussi : Joel Meyerowitz, Markus Hartel, Philip Lorca Di Corcia... La photographie de rue a donc acquis ses lettres de noblesse. Les mêmes qui détestent se faire photographier dans la rue vont aimer les photos de Robert Doisneau. La photographie de rue est dite "humaniste" en France, c'est dire...
Cependant de nos jours le photographe qui fait des images dans la rue peut être un professionnel, un amateur éclairé, un badeau qui occupe son temps, un amateur de jolies filles, un espion ou un pervers. Tout le monde a un appareil photo et avec l'apparition des caméraphones et la gratuité virtuelle des photos numériques les gens se sont mis à faire des photos partout et en tous lieux et, pire, ont publié leurs images sur le web sans tenir le moins du monde compte de rien, de la législation comme du savoir-vivre, comme de la discrétion... Pas étonnant que des histoires ont couru et que la parano ait augmenté. Pour le photographe de rue légitime, l'émule de Doisneau et de Winogrand c'est une catastrophe. En peu de temps les gens ont commencé à se méfier et a réagir de plus en plus négativement aux photographes, les autorités se sont mises à interdire et la photographie de rue est passée d'une activité artistique légitime à une activité soumise au soupçon d'espionnage et de perversité.
Il faut cependant prendre en compte cet état de fait quand on veut faire de la photo de rue. Soumettre sa pratique au principe de réalité. Il est hors de question de demander aux gens l'autorisation avant de les photographier, sauf dans de rares cas précis, parce que ça ruinerait la spontanéité de la scène. Mais selon moi il vaut mieux proscrire la photo volée, celle qu'on prend en cachette. Mieux vaut shooter franchement, avec un gros appareil pour faire plus "pro" et pas avec un téléphone (my mistake!), sans se cacher, avec un aplomb qui renforcera votre aspect "légitime". Le choix du sujet a son importance dans ce cadre. Mieux vaut éviter les enfants, ça c'est dommage parce que ça fait des images intéressantes mais c'est vraiment trop connoté pervers de nos jours, donc les gamins c'est interdit et c'est très risqué. Les couples c'est plus embêtant et pas facile de les éviter (qu'on pense aux amoureux de Doisneau ou aux "couples qui s'ennuient" de Martin Parr, irrésistibles), donc je crois qu'il faut y aller mais sur la pointe des pieds, si j'ose dire. Là comme partout la personnalité et l'attitude du photographe est importante, il doit avoir l'intuition de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, de l'atmosphère et de l'ambiance générale des endroits où il peut faire des images et là où il est risqué d'en faire. Il doit aussi savoir expliquer aux gens ce qu'il fait de façon franche, souriante et respectueuse. On passe au pire pour un gentil cinglé avec une marotte un peu bizarre, mais ça vaut mieux que de passer pour un pervers. Et il faut respecter les gens qui vous disent ou qui vous signifient que non, il ne veulent pas être photographiés, et baisser votre appareil ostensiblement à ce moment là et leur sourire avec au besoin un petit signe de la tête signifiant que vous avez compris.
On ne changera pas le monde et nos contemporains, mieux vaut donc s'y adapter quitte à laisser passer de belles photos, et puis n'est pas Doisneau qui veut!