dimanche 14 décembre 2008
des vies minuscules
Je pense à mon collègue et ancien copain C. qui est mort cet été d'une tumeur au cerveau. Quand il a appris qu'il avait une tumeur dans le crâne il a renvoyé illico son téléphone mobile "de service" dont il se servait beaucoup pour son travail. Je ne sais pas si c'est ça qui a entraîné son mal, bien sûr, mais si c'est ça, c'est très ironique : C. détestait tous les gadgets modernes et ne parlait que très peu. Il a été malade un an et demi, et puis il est mort, silencieusement, comme il avait vécu. C'était un des types les plus modestes et effacés que j'ai pu rencontrer. Il ne parlait jamais de lui. On pouvait travailler avec lui pendant longtemps, le fréquenter même un peu en dehors et ne rien savoir de lui : jamais il ne racontait sa vie, son passé, son enfance, ce qui l'émouvait ou ce qui le mettait en colère. Il vivait avec modération. Il aimait le rugby et allait soutenir le XV de France. Il avait des copains supporteurs qu'il ne voyait jamais en dehors des matchs et des troisièmes mi-temps bien arrosées. Il allait à la pêche le week-end, seul, et ramenait des poissons parfois le lundi, au bureau, qu'il donnait aux collègues. Il aimait la photo (argentique bien sûr) et il partait dans des voyages organisés lointains pour photographes de nature, une fois par an. Il a été au Canada, en Écosse, mais il n'en parlait que très rarement et encore il fallait lui poser des questions. Il ne montrait ses photos à personne (ou peut-être à ses parents, il avait encore ses parents, très âgés, il allait chez eux tous les week-ends, ils étaient encore là lorsqu'il est mort). Il aimait les livres sur le rugby, sur la nature et sur la deuxième guerre mondiale. Juste avant de tomber malade il s'était acheté une maison, un pavillon de banlieue, près de Paris. Il vivait seul et le regrettait. Tous ses collègues l'adoraient. Le jour de son enterrement il y avait six ou sept membres de sa famille proche et plein des collègues ou d'anciens collègues. Ses copains de rugby étaient tous d'anciens collègues. Pendant quelques temps nous avons couru ensemble, on faisait deux ou trois fois le tour des étangs de la Minière, derrière mon ancien logis, à Guyancourt. Nous avons passé quelques jours sur le canal de Nantes à Brest aussi, j'avais loué une pénichette et il était venu faire des photos (que je n'ai jamais vues). Il m'avait fait visiter les plages du débarquement et le cimetière de Colleville. Mais bizarrement j'ai toujours eu l'impression de mal le connaître. Les derniers temps il s'était éloigné et moi aussi, je ne le voyais plus que très rarement, même s'il travaillait dans un bureau assez proche du mien. D'une certaine façon je n'arrive pas à réaliser qu'il est mort.