Si en 1976 on n'avait plus eu à payer de droits de succession comme veut le décréter Sarkozy, on n'aurait peut-être pas été obligés de vendre la maison de St Brévin, me disais-je. Cette maison j'y ai passé mon enfance et mon adolescence, elle appartenait à ma mère et quand j'ai été enfin majeur — "enfin" c'est ce qu'ont dû se dire beaucoup de gens et en particulier l'une de mes soeurs qui voulait se séparer de cette maison parce qu'elle ne l'aimait pas, n'aimait pas y aller et voulait elle aussi avoir sa résidence secondaire pour elle toute seule — quand j'ai été enfin majeur disais-je, bien que je ne fus pas d'accord, mais n'y pouvant vraiment rien, on vendit — mes frères et soeurs et moi, vendîmes la maison pour payer les droits de succession et accessoirement pour permettre aux uns et aux autres à s'acheter qui une maison principale, qui une résidence secondaire, même si, dans le cas de ma soeur qui n'aimait pas la maison de St Brévin, ce fut un cabanon en eternit la résidence secondaire, mais enfin elle avait une résidence secondaire pour elle et sa famille toute seule au lieu d'être obligé de partager une maison de famille avec ses frères et sœurs, c'est une des composante du rêve de bonheur bourgeois et même petit bourgeois et un signe de normalité souhaitable dénotant un certain niveau de vie souhaitable, enfin souhaitable dans la façon petite bourgeoise de rêver la réalité, d'avoir un pied à terre, pour ainsi dire, à la campagne pour y loger sa petite famille nucléaire, pour ainsi dire, pendant les vacances, me disais-je. Je ne me suis jamais vraiment remis de la perte de cette maison me disais-je, il faut reconnaître que c'est le seul endroit où j'ai été vraiment heureux dans ma jeunesse. On y passait les vacances de Pâques et toutes celles d'été, à l'exception d'une semaine dans la maison de mes grands parents paternels à Nantiat dans le Limousin, endroit que j'ai toujours détesté et que je déteste toujours, une espèce de trou minable de petit village de province parfaitement ennuyeux, endormis et dépeuplé, ou plutôt seulement peuplé de tantes et d'oncles et d'arrières tantes et d'arrières oncles et de cousins en grand nombre et où je ne connaissais personne, à part mes oncles, tantes et toute une théorie de cousins, où je ne connaissais personne avec qui passer mon temps, avec qui parler, avec qui j'avais une connivence, me disais-je. Et chaque année on était obligé de passer une semaine dans ce trou, à faire la bise aux tantes qui piquent, à aller voir des cousins éloignés habitant dans des hameaux parfaitement sinistres ou dans des patelins du coin, des cousins qui étaient pour la plupart bouchers ou marchands de bestiaux et déjà je me disais que vendre des vaches pour les faire abattre et les découper en tranche avec un tablier plein de sang sur le ventre était l'un des métiers les pires qui soient, et pourtant mes cousins étaient nombreux à être marchands de bestiaux ou bouchers eux-mêmes, me disais-je. Donc, me disais-je, cette maison, la maison de St Brévin, était le seul endroit de mon enfance et de mon adolescence où j’avais été un peu heureux, avec mes copains et surtout mon copain Hervé avec qui je passais le plus clair de mon temps, à St Brévin. Il n’y avait qu’une tante qui pique à St Brévin, ma tante Jeanne que j’aimais beaucoup et qui était assez fantasque. Ma tante Jeanne habitait une maison dont le nom était La Potirelle — toute les maisons, les villas comme on disait, à St Brévin, avaient un nom, nous c’était La Devinière et ma tante Jeanne c’était La Potirelle (qui est en fait le nom d’un champignon) — non loin de la nôtre. Ma tante Jeanne avait des chiens et des chats en grand nombre et une traction avant Citroën noire très belle qu’elle conduisait aussi de façon assez fantasque avec ses chiens et ses chats installés à l’arrière de la voiture et l’intérieur de la Traction, comme on appelait sa voiture, était plein de poils de chiens et de chats et sentait le chien mouillé et la pisse de chat, me disais-je avec nostalgie car j’aimais beaucoup ma vieille tante Jeanne, la tante de ma mère, la sœur de ma grand-mère maternelle, ma grand' tante donc, qui était assez originale comme on disait, comme l’était aussi sa sœur, mon autre grand' tante Lucie et comme l'était ma grand mère maternelle que je n'ai pas connu. Ma tante Jeanne était veuve, son mari, Tonton Etienne, étant mort quand j’étais tout enfant, était cheminot et même chef de gare, lui, me disais-je. Et donc la maison de St Brévin a été vendue et son jardin tout autour avec, bien sûr. C’était un magnifique jardin planté de pins, bien sûr, de mimosas, de chênes, de chênes verts, de budléïas, de seringuas, d’une quantité de genêts, de tamaris et d’un arbousier, et ce jardin magnifique était sillonné d’allées plus ou moins larges, de marches faites de rondins, de massifs de fleurs. Mon père passait tout son temps à St Brévin à ratisser les allées, à ratisser les aiguilles de pin qui s’amassaient en quantité dans les allées, il faisait des andins d’aiguilles de pin qu’il amassait ensuite en tas et ces petits tas il les mettait dans une brouette et les emmenait sur un tas encore plus gros dans un coin du jardin, tas qu’on faisait brûler l’hiver ou à Pâques. Quand il avait terminé de ratisser une allée celle-ci avait l’air magnifiquement propre et ordonnée et je crois que mon père aimait bien ça, voir aussi clairement, aussi distinctement, le fruit de son travail, me disais-je, et quand toutes les allées étaient bien propres et bien ratissées, le jardin avait un air rutilant et bien entretenu, une sorte d’impression d’ordre et de sérénité un peu comme les jardins du Ryoanji à Kyoto, qui sont nettoyés et ratissés à la perfection, me disais-je.
(à suivre)