jeudi 15 janvier 2015

"Mes enfants m'ont vaincu !"


Le Talmud raconte un célèbre débat entre des grands sages à la maison d’étude. Ils débattent comme ils savent si bien le faire. Le ton monte et chacun défend avec passion et virulence son point de vue. Imaginez l’ambiance d’une conférence de rédaction à Charlie Hebdo , transposée au monde de la Yeshiva.
Rabbi Eliezer dit alors : « J’ai raison, j’ai forcément raison. Pour le prouver, dit-il, que cet arbre soit immédiatement arraché ! » Dans la seconde, l’arbre est déraciné et planté 100 mètres plus loin. Réaction des autres rabbins : ils haussent les épaules : « Et alors ? Cela ne prouve rien ! »
Alors, Rabbi Eliezer poursuit sa démonstration : « Si j’ai raison que les murs de la maison d’étude s’effondrent sur nous ». Immédiatement, les parois de la Yeshiva commencent à s’affaisser. Les autres sages se tournent vers les murs et leur disent : « De quoi je me mêle ? Ceci est un débat entre les sages, ne bougez pas et restez en place ! » Les murs s’immobilisent.
À bout d’arguments, rabbi Eliezer en appelle à Dieu lui-même et dit : « Si j’ai raison qu’une voix céleste le confirme ». Immédiatement, une voix céleste annonce : « Rabbi Eliezer a raison ». Silence à la maison d’étude. Alors, se lève un homme, Rabbi Yoshoua et il dit à Dieu : « cette discussion ne te regarde pas ! Tu nous as confié une loi, une responsabilité, maintenant elle est entre nos mains. Tiens-toi loin de nos débats. »
Voilà comment les rabbins du Talmud parlent à Dieu, avec une certaine insolence, en lui disant : « N’interviens pas dans les débats des hommes, car la responsabilité que tu nous as confiée est entre nos mains. »
Cet épisode s’achève de façon plus étrange encore, par la réaction de Dieu. En entendant cela, affirme le Talmud, Dieu se met à rire et il dit avec tendresse : « Mes enfants m’ont vaincu ! ».
Pourquoi vous raconter cette histoire ? Quel rapport a-t-elle avec Elsa ? En apprenant à découvrir son univers ces derniers jours, il m’a soudain semblé que cette histoire était très « cayatienne ».
C’est l’histoire d’un divin qui rit et se réjouit d’une humanité impertinente, d’une humanité qui dit avec humour à son dieu « Prière de ne pas déranger – nous sommes aux commandes ».
C’est l’histoire d’un dieu qui rit et se tient à distance, d’un dieu qui se réjouit qu’on lui dise : le monde est « athée », au sens littéral du terme, c’est à dire que Dieu s’en est retiré pour que les hommes agissent en êtres responsables. Ce dieu-là n’est pas le dieu des Juifs mais le dieu de tous ceux qui, croyant en lui ou n’y croyant pas, considèrent que la responsabilité est entre les mains des hommes, et tout particulièrement de ceux qui interprètent ses textes. Bref, un dieu de liberté.

Rabbin Delphine HORVILLEUR Lors des funérailles d'Elsa CAYAT, le 15 janvier 2015.

Jewish textuality


Here is one astounding constant of Jewish history since (at least) Mishnaic times: every boy was expected to go to school from the age of three to the age of thirteen. This duty was imposed on male children and their parents, administered and often subsidized by the community. At school, often a tiny one-room, one-teacher, multiage affair, the boys studied Hebrew—not their mother tongue, and not a living language even in Talmudic times—at a level sufficient for both reading and writing. This ten-year study was unconditional, independent of class, pedigree, and means. Some boys surely dropped out prior to becoming a Bar Mitzvah, but few remained illiterate. The secret was to teach them a great deal in their earliest years, and wisely pamper them with sweets to munch with their first alphabet. Where other cultures left boys in their mothers’ care till they were old enough to pull a plough or wave a sword, Jews started acculturating their youngsters to the ancient narrative as soon as the tots could understand words, at two years old, and read them, often at the ripe age of three. Schooling, in short, began soon after weaning. The Jewish twist also pertained to the vessel in which the ancient narrative was served up to the scions. Early in our history we began to depend on written texts. On books. The great story and its built-in imperatives passed from generation to generation on tablets, papyri, parchments, and paper. Today, as we write this book, the historian among us checks all our references on her iPad, and she cannot resist the sweet reflection that Jewish textuality, indeed all textuality, has come full circle.

Amos Oz, Fania Oz-Salzberger - Jews and Words

Pupils and teachers


In our post-Freudian era, the teacher-student and father-son pairings, sometimes overlapping and metaphorically akin, carry great fascination. Think of it this way: Jewish tradition allows and encourages pupil to rise against teacher, disagree with him, and prove him wrong, up to a point. This is a Freudian moment, quite rare in traditional cultures. It is also a key to intellectual innovation, up to a point. We don’t know whether the rabbinical Jews could have broached modernity on their own without that mighty push from the outside world. But we do know that they were able to teach the modernizing world a lesson in good disputative education. Also—witness Marx, Freud, and Einstein—something about strong father figures, intergenerational rebellion, and rethinking old truths. Up to a point, we say, because rebellion had its limits. You could not throw off the whole business of God, faith, and Torah. If you did, you would be chased away. Even if you were as brilliant and beloved as Elisha ben Abuya, the fallen lord of Mishnaic learning who went over to the Romans, your name would be erased from record in punishment for your apostasy. But wait: Elisha’s wisdom was too great to obliterate, so he would still be quoted, and still appears in the Talmud, as “The Other.” Acher.

Amos Oz, Fania Oz-Salzberger - Jews and Words

lundi 12 janvier 2015

La lumière au bout du tunnel?



Fichue semaine, vraiment. Lundi je me suis réveillé avec une bronchite (oui c'est dérisoire au vu de ce qui s'est passé après, mais ça n'aide pas à bien naviguer mentalement dans le gros temps). Mardi le rhume s'est déclenché pour de bon, la tête pleine de morve et la toux grasse fatigante. Mercredi la gueule de bois au maximum et l'attentat. Le cauchemar commençait vraiment. J'ai passé les jours suivants dans un état d'abattement, de cafard noir, de colère, d'excitation, d'hébétude devant les télés d'informations en continu et parfois de tout ça en même temps. Vendredi soir le soulagement que le désastre soit fini a fait place à une profonde tristesse devant tout ce gâchis. Tristesse dont je ne suis sorti qu'hier grâce à l'immense manifestation de civisme et d'unité de mes concitoyens. Aujourd'hui je suis presque en forme de nouveau et un peu plus optimiste qu'avant-hier. Non, ce ne sont pas les quelques ballots qui font des procès en pureté de fidélité à Charlie Hebdo (en bons petits staliniens), qui font la morale aux gens qui ont applaudi les flics hier dans la rue, qui vont me déprimer. Je veux être positif et changer de sujet, j'en ai besoin, nous en avons tous besoin.

Unis pour défendre les valeurs de la République


(© Martin Argyroglo)

Les marches républicaines qui ont eu lieu hier partout en France et même dans les petites villes de province ont été les plus larges jamais enregistrées. Près de quatre millions de personnes sont sorties dans la rue, unis pour la défense des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité, la défense de la liberté d'expression, le refus du terrorisme et de la violence, la défense de la démocratie. ce fut une journée historique.

Alors certes, on peut pinailler. On peut regretter tous ces chefs d'États venus marcher à Paris avec le peuple de France. Ça pouvait sembler hypocrite ou opportuniste, d'autant qu'il n'y avait pas que des défenseurs acharnés de la liberté d'expression parmi eux (euphémisme). Oui, mais moi ça m'a fait plutôt plaisir et ça m'a ému, c'est comme ça, je suis sentimental, tout comme tous les témoignages de solidarités venus des quatre coins du monde.

Et on peut aussi ratiociner sur l'action de la police et sur les applaudissements qu'ont recueillis les policiers pendant la marche républicaine, à Paris en particulier. 

Les policiers n'avaient pas d'autres choix que de tuer les trois terroristes, ceux-ci étaient prêts à mourir en martyr dans l'assaut de la police. L'un d'entre eux détenait des otages et les deux autres n'en détenaient pas mais se sont jetés dehors en tirant sur les gendarmes. Celui qui détenait les otages en a d'ailleurs fait autant, les images le prouvent.

Il est regrettable d'avoir eu à les tuer, certes, mais ceux qui le déplore feraient bien de proposer leur solution tactique pour venir à bout d'une prise d'otage par un individu fanatisé, qui veut mourir en martyr.

Hier, à la marche républicaine la foule (et moi-même) avons acclamé la police. C'était un peu surréaliste. Mais nous avons acclamé les policiers, non pas parce qu'ils ont tué les trois terroristes, mais parce qu'ils ont subi trois pertes dans leurs rangs, trois policiers qui nous protégeaient, nous simples citoyens, ont été tués. Nous les avons applaudis parce que leur action professionnelle a sauvé des enfants, des femmes et des hommes, les otages. Nous les avons acclamés par ce que nous croyons aux valeurs de la République et que la police, quand elle-même respecte ces valeurs et fait son travail, fait partie de la République et protège ses citoyens. Et c'est exactement ce qu'ils ont fait pendant ces trois jours de cauchemar et ce qu'ils ont fait dimanche partout en France pour que les marches républicaines se passent sans incidents.

Alors oui je crois qu'il est bon d'acclamer les policiers qui font leur travail, qui est de nous protéger, qui le font en toute légalité et qui sont en première ligne (la première ligne de défense)  et première cible dans ce combat contre les terroristes.

J'ai conscience d'être un peu grandiloquent mais il fallait que ça sorte et c'est sorti comme ça.

vendredi 9 janvier 2015

Cabu

Phersv dit tout ce je ressens exactement à propos de Cabu (et de Charb aussi) et qui explique pourquoi je suis triste et en colère :
C'est la première fois qu'un attentat ne me semble pas frapper seulement des individus ou un symbole mais quelqu'un que j'avais toujours eu l'impression de considérer comme un ami sans le connaître, depuis les vieux Pilote de 1968. Cela n'aide pas tellement à permettre une débat dépassionné.
Cabu n'était pas seulement quelqu'un de visiblement si bon. Il était peut-être le plus grand dessinateur de presse français de tout le siècle dernier (qui pourrait lui être comparé ?) et il savait saisir quelque chose dans sa caricature qui devait paraître forcément violent dans sa vérité. Il dessinait sans cesse et tout talent ne peut que choquer car il semblait réussir à éviter les pudeurs de l'auto-censure (même s'il n'a cessé de réfléchir à certains cas limites et finit par renoncer par exemple à l'humour noir facile qui se servait de racourcis sur certains handicaps physiques).
La question est celle du sacré dans nos sociétés sécularisées. On nous accuse de ne rien garder de sacré, de ne plus avoir le sens du sacré et aujourd'hui on entend certains se moquer du fait qu'on aurait sacralisé les blasphémateurs. Mais c'est que le droit au blasphème devient d'autant plus sacré qu'on veut mettre quelque chose en dehors de toute critique. Si on veut interdire le blasphème par politesse ou courtoisie en craignant de blesser ce qui relève du sacré, on arrive aussi à interdire la critique en général. Charb et Cabu ne cessaient d'expliquer cette pente et quand on dit qu'ils mettaient de l'huile sur le feu ou qu'ils étaient irresponsables on oublie encore que ce qu'ils faisaient n'était pas que de la provocation gratuite mais bien quelque chose de nécessaire.
Ce style de dessin n'existe pas dans de nombreuses traditions graphiques - les Américains n'ont pas vraiment d'équivalent par exemple, ce qui explique souvent leur incompréhension et je m'étonne d'ailleurs finalement que certains humoristes comme Jon Stewart ait pu quand même si vite comprendre les enjeux pour apporter un soutien aussi inconditionnel.

mercredi 7 janvier 2015

Mon Charlie



Je suis né en 1957. Entre le milieu des années 70 et celui des années 80 j'ai été un lecteur assidu de Charlie Hebdo.  J'admirais sans retenue  les Cabu, Wollinski, Reiser, Cavanna, Siné, le Professeur Choron, Gébé. Le Grand Duduche de Cabu était ma lecture préférée avec son excellent "Mon beauf'". Plus tard je m'en suis un peu détaché mais j'ai toujours trouvé Charb et Tignous, les nouveaux, les petits jeunes qui avaient pris la relève, comme de formidables dessinateurs satiriques.  J'étais moins d'accord avec leurs positions politiques mais ils étaient là, toujours, pour nous empêcher de nous prendre trop au sérieux. Aujourd'hui ils sont tous morts. Reiser est parti le premier, il ne voulait pas devenir un vieux con, puis sont partis quelques membres de l'ancienne génération, un par un, Gébé, Cavanna, Choron. Mais aujourd'hui dans le massacre commis au siège du journal les derniers sont morts, tués par des fanatiques. Cabu, Charb, Wollinski, Tignous, Bernard Maris, sans oublier Phillipe Lançon, gravement blessé et deux fonctionnaires de police, ont été assassiné. Avec eux c'est une partie de moi-même, de ma jeunesse, qui s'en va... J'alterne entre stupeur, colère et tristesse ce soir.

samedi 3 janvier 2015

Des orages et des avions



Normalement un avion qui traverse un orage ne s'écrase pas, ni ne se retrouve dans une situation menaçante pour sa survie. Cependant un certain nombre d'avions ayant traversé ou essayé de traverser un orage se sont retrouvés en fâcheuse position voire se sont écrasés. D'une manière générale il est considéré comme peu prudent de traverser une cellule orageuse et les pilotes font quotidiennement leur maximum pour les éviter. Malgré tout, les avions sont conçus pour endurer un passage dans un orage et en général s'en sortent bien. Mais les pilotes essayent d'éviter ça pour trois raisons : c'est inconfortable, imprévisible et un environnement hostile dans lequel voler. Au vrai, faire traverser un orage à un avion, le rend très vulnérable. Ce qui, combiné à des facteurs humains et des problèmes de structure ou d'instruments accroit beaucoup les risques. À l'intérieur d'une cellule orageuse il y a de la foudre, de très fortes turbulences, des courants ascendants et descendants très violents, de la pluie, de la grêle et de la glace, toutes conditions qui sont considérées comme pouvant faire prendre des risques à un avion. Les pilotes repèrent les cellules orageuses visuellement ou sur leurs radars météos. Ils se faufilent entre les cellules ou autour en s'efforçant de ne pas faire trop de détours pour ne pas prendre du retard ou consommer trop de fuel. Les cellules orageuses ont la plupart des temps des surfaces au sol assez faibles se qui rend possible un contournement aisé. Par contre elles occupent souvent une altitude très importante, il n'est donc pas conseillé d'essayer de passer au-dessus, ce qui pourrait faire atteindre l'altitude maximale de l'avion et pourrait le faire sortir de son domaine de vol, le conduisant au décrochage.

On se souvient du crash d'Air France 447, consécutif au passage à travers un orage et à de la glace bouchant temporairement les sondes Pitot provoquant l'arrêt du pilote automatique (pour vitesse non fiable) et surtout la désorientation et désorganisation complète de l'équipage. Le pilote en fonction a mis alors son avion à cabrer jusqu'à le faire décrocher et n'a jamais compris pourquoi son avion s'était quasiment arrêté de voler !  Dans ce cas précis l'orage n'est pas le facteur principal de l'accident, c'est l'erreur humaine et la panique du pilote en fonction.

Le vol 421 de Garuda Indonesia, un 737, s'est retrouvé dans un très violent orage, en 2002. La pluie et la grêle furent tellement abondantes que les deux moteurs s'éteignirent. Les enquêteurs ont dit que l'avion avait rencontré une densité de grêle de 18 grammes par mètre cube d'air. Ce qui équivaut à voler dans 10 000 cubes de glace par seconde. Les pilotes n'arrivèrent pas à rallumer les moteurs et firent planer l'avion dans une rivière. Il y eu un mort et quelques blessés légers.

Le vol 612 de Pulkovo Aviation Enterprise était un Tulopev 154 qui s'est écrasé au nord de Donetsk en 2006. Dans ce cas précis les pilotes ont cru bon d'essayer de survoler l'orage au lieu de le contourner. Le cumulonimbus culminant à près de 50 000 pieds il s'avéra impossible de faire voler l'avion à cette altitude, la densité de l'air étant beaucoup trop faible pour le soutenir. L'avion décrocha et parti en vrille à plat, puis s'écrasa dans la campagne sans que les pilotes n'aient rien pu faire pour le rattraper.