lundi 14 mars 2011

Raison garder

Je ne suis pas un expert en nucléaire (bien que j’ai vécu vingt ans à proximité d’une centrale) et pas scientifique, mais j’essaie de comprendre ce qui se passe à Fukushima, en absorbant de l’information issue de nombreuses sources et pas que médiatiques, en Français et en Anglais avec l’esprit ouvert et le moins de préjugés possible. Finalement je ne suis pas plus expert qu’un journaliste lambda comme Michel Chevalet (par exemple) mais pas moins. Donc si je ne peux pas donner un avis d’expert je peux au moins commenter. Je ne représente personne de surcroît. A ce point il faut que j’avertisse que je suis plutôt pour l’industrie nucléaire, du moins que je n’ai pas de préventions majeures contre cette source d’énergie. Et il est bon aussi de dire que je n’ai pas vraiment de communauté d’esprit ou d’opinions avec les écologistes, si je ne conteste pas leur principes de base (réchauffement climatique du fait de l’activité humaine, etc.) je suis contre à peu près toutes les solutions qu’ils proposent, qui m’apparaissent comme des régressions, et je suis allergique aux leçons de morale qu’il nous adressent constamment et à leur condescendance.

Revenons à nos moutons, sur l’accident en cours d’abord : il faudrait arrêter de dire des bêtises,  la centrale ne va pas « exploser » (malgré les apparences) comme une bombe nucléaire explose. Les explosions qui ont eu lieu sont des explosions classiques qui ont fait sauter les toits des réacteurs (d’ailleurs faits pour céder en cas de besoin). Ces explosions ont probablement libéré de la radioactivité, mais apparemment (je prends des précautions, hein), pas de doses létales. Il est vraisemblable que les barres à combustible aient commencé à entrer en fusion à cause de la diminution du niveau d’eau dans le réacteur et leur exposition à l’air, mais sans plus de conséquences pour l’instant, tant que le confinement ultime, celui du cœur du réacteur, tient le choc et c’est là l’essentiel. Maintenant il est toujours possible qu’on nous mente et il faut toujours rester sceptique devant les informations officielles, certes, mais dramatiser ne sert à rien qu’à attiser les peurs.

MISE À JOUR : Tepco vient d'annoncer (1:00 am le 15 mars) que l'une des enceintes de confinement, celle du réacteur numéro 2, a pu être endommagée par une nouvelle explosion et qu'ils ont évacué une partie de leur personnel de la centrale et que les radiations ont brusquement augmenté de manière importante. Comme je l'ai écrit plus haut s'il y avait une brèche dans le coeur les choses deviendrait beaucoup plus sérieuses, avec diffusion de grosses quantités de radioactivité dans l'air.

Maintenant sur la catastrophe elle-même : on a un peu tendance à l’oublier, mais les villes japonaises ont plutôt bien résisté au tremblement de terre de 9.0, un des plus forts jamais enregistré, c’est le raz-de-marée qui a suivi qui a tout détruit - jusqu’aux pompes de refroidissement de la centrale de Fukushima - et causé des milliers de morts. Il ne faudrait tout de même pas oublier que le désastre majeur est là : des milliers de morts, des centaines de milliers de réfugiés, des villes et des villages rayés de la carte à cause d’un raz-de-marée bien naturel.

Ensuite sur le nucléaire : toute activité humaine comporte des risques. Les avions se crashent, les automobiles sont accidentées, les trains se percutent ou déraillent, les usines d’engrais explosent (AZF), les raffineries et les dépôts de carburants prennent feu (Feyzin), les puits de pétrole explosent et fuient (Deepwater Horizon, Koweit) on s’ébouillante avec sa bouilloire domestique, on peut se noyer dans sa piscine, les centrales nucléaires chauffent et font fuiter de la radioactivité. Le risque est le même, la perception de ce risque est différente. On accepte le risque quotidien, domestique, mais pas le risque industriel ou technologique. Et comme la radioactivité fait peur parce qu’elle ne se voit pas et rend le milieu contaminé invivable pour longtemps, parce que jouer avec les atomes et ce qui constitue l’essence même de la matière c’est jouer avec des forces qui nous dépassent, l’industrie nucléaire est rejetée par une bonne part du public, comme, en quelque sorte, le risque industriel ultime. C’est oublier que notre gestion des risques avance de pair avec les avancées de la technologie. Un expert en gestions des risques, Philippe Nemo, faisant un parallèle entre le refus du risque technologique et notre attitude actuelle de peur face à la maladie incurable, dit « plus la maîtrise rationnelle des risques s’accroit et s’affine, plus le danger résiduel révèle son caractère d’inéluctabilité, sans solution clairement visible ni de la part du ciel ni de la part des hommes, ce qui revient à dire qu’il s’aggrave objectivement ». Ainsi l’accident de Seveso (fuite de dioxine), en juillet 1976, qui ne fit aucun mort mais 200 blessés et provoqua l’évacuation de 700 personnes hante encore les mémoires alors que personne ne se souvient de celui de Los Alfaques en 1978 (incendie de propylène) qui fit 216 morts et 200 blessés (*). Quand un avion se crashe on en tire des leçons qu’on applique au transport aérien en général et même au-delà, mais on n’arrête pas de transporter des gens en avion. Pourtant quand un accident nucléaire arrive, et dans des circonstances extrêmes qui plus est, les écolos réclament l’arrêt de toute l’industrie nucléaire. Je ne vois pas la logique de ce raisonnement et je le rejette, comme je rejette les délires anti-technologiques d’une partie des écologistes. De plus le fait de dramatiser une situation ne me semble pas intelligent.

(*) Source : « L’Archipel du danger », Georges-Yves Kervern et Patrick Rubise, Ed. Economica, 1991.