mercredi 17 septembre 2008

saudade

Je suis parfaitement d'accord avec RJ, les gens qui ont eu à faire à la dépression pour eux mêmes ou pour des proches savent que c'est une maladie très grave et très difficile à supporter, qui fait énormément souffrir les gens qui en sont affectés. C'est une maladie comme la grippe ou le cancer mais qui se manifeste presque exclusivement par une souffrance morale ou spirituelle intense et intenable et hélas presque toujours incommunicable. Les manifestations de cette maladie font qu'elle est peu prise au sérieux par beaucoup de gens, soit parce que ses symptômes sont balayés d'un revers de main par les adeptes de la rationalité, soit parce que, inconsciemment, cette maladie fait peur et qu'on craint la contagion sur son propre système qu'on sait déjà fragile. Le dépressif est souvent pénible et difficile à vivre, soit qu'il vous donne à vous-même le bourdon, soit qu'il devienne irritable ou carrément incapable de faire quoi que ce soit, ce qui le fait passer pour apathique ou paresseux. Pour avoir été pendant des années victime de cette maladie même si c'était sous une forme plus ou moins légère ou non critique, pour ainsi dire, je peux dire que jusqu'à ce que je prenne un médicament qui y a mis heureusement un terme (au dépens d'une addiction à ce médicament, un clou chassant l'autre) la maladie a affecté tous les aspects de ma vie, de façon durable même et je suis grandement au fait des effets de la dépression à la fois sur la personne du déprimé et sur son entourage. Mes crises de cafard intenses ne rencontraient que rarement la compassion par exemple, mais plutôt l'agacement et les reproches ce qui renforçait la culpabilité même d'être dans cet état et le dégoût de soi qui va avec. Mon anxiété était presque toujours reçue avec moquerie ou indifférence (j'étais complètement dingue et c'était tout) et mon entourage était persuadé que c'était la seule façon de réagir à mes crises anxieuses certes exagérées mais contre lesquelles ni eux ni moi ne pouvaient rien. Pourtant, malgré les conseils de "te secouer", "faire un peu d'exercice, ça ira mieux", "penser à autre chose", "arrêter d'être aussi égoïste et de ne penser qu'à toi" (parmi les conseils les plus bienveillants), je n'arrivai pas à m'en sortir et seule une action médicale m'a permis d'émerger la tête de l'eau (et encore ai-je été chanceux sur ce coup là, puisque le médicament prescrit m'a remis d'aplomb, alors que chez certains aucun médicament ne fait d'effet ou du moins d'effet durable). Cette incapacité de l'entourage à prendre en compte que le dépressif est atteint d'une maladie grave ajoute au mal dépressif, c'est injuste mais c'est ainsi.

Je ne sais pas si c'était le cas pour David Foster Wallace, il semble qu'il ait été déprimé, gravement déprimé, depuis 20 ans — ce qui ne serait pas étonnant étant donné la façon particulièrement réaliste et profonde et subtile dont il écrivait sur la dépression et le suicide, révélant une connaissance étendue et, pour ainsi dire, personnelle de cette maladie — mais qu'il tenait sa maladie la plupart du temps en respect, pour ainsi dire, sauf les derniers temps où, semble-t-il, la maladie avait repris le dessus. Je dois dire que depuis que j'ai appris sa mort, je n'arrête pas d'y penser, d'une façon mal formée et trop fragmentaire pour être décrite ici. Il serait mort d'un infarctus ou d'un cancer ça n'aurait pas été pareil, mais là il s'est suicidé et même pendu, et ça fait résonner en moi des souvenirs. Et bien que des milliers de gens, des anonymes, se suicident, hélas, chaque jours ça ne relativise pas, pour moi, le suicide d'un écrivain que j'estimai parmi les plus talentueux et qui par ses écrits avait le don de me parler directement (ainsi qu'à tous ses lecteurs admiratifs) et de me faire voir les choses différemment. En même temps je m'interroge sur mon attachement aux écrivains que j'aime, aux écrivains au-dessus de tous les autres, au point que leur disparition m'affecte — d'une façon différente et plus légère que celle d'un proche — mais m'affecte quand même, une sorte de saudade, pour ainsi dire. Dans le temps j'avais été affecté par la disparition de Sartre ou de Raymond Carver par exemple. Les écrivains qu'on aime, quand ils meurent, ils vous brisent le coeur!